Atlas des Sports

L'observatoire innovant des sports

Le football à Grenoble : observatoire des divisions sociales d’une agglomération

par Julien Bertrand

planche publiée le 03 décembre 2024

Grenoble est, à l’image d’autres métropoles, traversée depuis les années 1970 par des dynamiques d’embourgeoisement relatif et d’étalement urbain. Parce qu’il est à la fois le premier sport en nombre de licenciés et une pratique à dominante masculine, juvénile et populaire, le football est un bon observatoire de la morphologie sociale de la ville. Son implantation est révélatrice de ses divisions sociales et de leurs prolongements dans l’agglomération.

Grenoble : une ville de sports de montagne ou de football ?

1Du point de la pratique sportive, Grenoble se caractérise d’abord par la place que prennent les sports de montagne. Logée au pied de trois massifs (Belledonne, Vercors, Chartreuse) dotés de nombreux équipements touristiques et de deux parcs naturels régionaux, la ville se prête bien à ces activités. Même si le nombre de licences fédérales est un indicateur très partiel de la pratique, la ville compte une proportion par habitant pour les activités de montagne deux fois plus importante que la moyenne nationale ou environ trois fois plus importante que chez ses voisines lyonnaise et stéphanoise (figure 1).

Tableau 1 - Nombre de licences sportives pour 1000 habitants

Principales fédérations unisports Grenoble Lyon Saint-Étienne Montpellier Nantes Rennes Strasbourg Toulouse France
Football 17,0 14,0 21,9 15,9 20,6 22,9 24,8 16,8 28,1
Tennis 9,4 13,6 8,4 8,8 15,9 7,7 12,5 11,2 14,0
Ski 4,1 0,7 0,4 0,3 0,2 0,2 0,4 0,5 1,2
Rugby 3,9 2,5 1,2 3,0 3,2 2,0 1,6 7,1 4,7
Équitation 3,8 4,5 3,5 4,7 6,5 4,6 5,6 5,7 9,8
Basket-ball 3,8 4,8 5,3 2,6 9,5 5,4 5,5 3,7 6,3
Principales fédérations d'activités de montagne
Clubs alpins de Montagne 10,3 2,5 0,9 0,9 1,0 0,4 1,8 2,9 1,2
FF Vol libre 2,5 0,8 0,2 0,6 0,3 0,3 0,4 0,6 0,5
FF Randonnée pédestre 1,2 1,0 1,7 1,8 2,7 3,2 0,2 1,4 4,2
FF Montagne et Escalade 1,1 1,4 1,9 0,6 1,1 1,5 1,5 1,1 1,3
Ensemble activités de montagne 15,1 5,7 4,6 3,9 5,0 5,4 3,9 6,0 7,2
Toutes fédérations (hors scolaires et universitaires) 15,1 5,7 4,6 3,9 5,0 5,4 3,9 6,0 7,2

Source : Recensement des licences, Ministère de la ville, de la jeunesse et des sports, 2021 (hors fédérations sportives scolaires et universitaires).

En 2021, on comptabilise à Grenoble 17 licences à la Fédération Française de football pour 1000 habitants contre 28,1 au niveau national et 10,3 licences à la Fédération Clubs alpins et Montagne contre 1,2 au niveau national.

2Ce penchant alpin ne doit pas faire oublier cependant que la ville place le football en première place des pratiques licenciées, comme dans la majeure partie de l’espace français. Son poids y est, toutefois, nettement moins élevé qu’à l’échelon national (figure 1), et, dans une moindre mesure, que dans certaines villes à l’implantation footballistique plus marquée (comme Strasbourg, Rennes, Saint-Étienne ou Nantes). À Grenoble, la raréfaction des catégories populaires (les employés et les ouvriers ne représentent plus que 29 % des 25-54 ans en 2021 dans la commune contre 53 % en 1975), tout comme la diversité de l’offre d’activités et la concurrence d’autres sports collectifs (comme le rugby ou le basket), réduisent son implantation locale. La moindre proportion d’enfants joue également dans ce sens, mais de façon peu marquée (les moins de 15 ans constituent 15 % de la population grenobloise, contre 17 % en France).

Le football, sport roi des quartiers populaires

3Au-delà de ce portrait d’ensemble, ce qui frappe, c’est l’ampleur des différences intra-urbaines, car la proportion des footballeurs licenciés varie très fortement selon les quartiers. Sur la commune de Grenoble, dans les quatre quartiers classés « prioritaires de la politique de la ville », soit un quartier anciennement populaire du centre-ville (Alma - Très Cloîtres - Chenoise) et trois situés dans la moitié sud de la ville (Mistral - Lys Rouge - Camine ; Teisseire - Abbaye - Jouhaux - Châtelet ; Villeneuve - Village Olympique), le taux de licences est deux fois supérieur au reste du territoire (33 licences pour 1 000 habitants contre 15 pour 1 000). Par ailleurs, 46 % des licences (hors fédérations scolaires et universitaires) détenues par les habitants des quartiers prioritaires concernent le football. Pour produire une différence si sensible, plusieurs facteurs se conjuguent : le lien privilégié entre les catégories populaires, notamment celles issues de l’immigration, et ce sport ; le caractère plus juvénile de ces quartiers ; la moindre pratique licenciée des filles en leur sein. Si l’on ajoute à cela la localisation des clubs, plus souvent situés dans ces quartiers (figure 2), on comprend que le centre de gravité footballistique penche au sud de la ville, alors que le nord, et particulièrement son quart nord-est, concentre les quartiers les plus riches.

Figure 2 - Localisation des clubs de football de l'agglomération grenobloise

https://geoapps.huma-num.fr/adws/app/5463977d-ac0d-11ef-a9a8-c393c19330e2/

Sources : J. Bertrand, 2024. Tous les clubs recencés sont affiliés à la FFF, recensement effectué en 2024.

Les divisions footballistiques de l’agglomération

4Les contrastes spatiaux dans l’implantation du football ne concernent pas seulement la ville-centre, ils sont même encore plus marqués entre les 38 communes de l’agglomération. Ce fait est à mettre en rapport avec la situation grenobloise dans laquelle la ségrégation résidentielle est plus faible pour la ville-centre comparativement aux autres métropoles, mais très forte pour la banlieue qui ceinture la ville et forte pour la couronne périurbaine. Ces écarts sont, en effet, très nets dans la proche banlieue, notamment entre les communes du nord-est de l’agglomération, où le nombre de licences est le plus faible, et celles du sud où la pratique est très implantée, prolongeant ainsi la division de la ville-centre (figure 3).

Figure 3 - La distribution inégale des licences de football dans l’agglomération grenobloise

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Sources : données géocodées issues du recensement des licences auprès des fédérations sportives agréées par le ministère chargé des sports, 2021, INJEP.

5Sans être systématique, et les cas qui y échappent mériteraient enquête, la relation entre composition socioprofessionnelle et nombre de licences est très notable. Les communes où la part des ouvriers est la plus forte sont souvent celles où le nombre de licences est le plus important, avec un coefficient de corrélation significativement positif sans être pour autant très élevé de + 0,45 (figure 4). C’est le cas de communes de la banlieue populaire de la ville (Échirolles ou Pont-de-Claix par exemple) ou de communes plus excentrées liées à l’industrie hydroélectrique (Jarrie, Champs-sur-Drac, Le Versoud). Inversement, une grande proportion de cadres réduit souvent la proportion de licences footballistiques, avec un coefficient de corrélation significativement négatif de - 0,54 (figure 5). C’est le cas de la zone située au nord-est de l’agglomération, sur les balcons ensoleillés du massif de Chartreuse, qui réunit les communes qui comptent à la fois le moins de footballeurs et la plus grande proportion de cadres (La Tronche, Meylan, Corenc, Montbonnot-Saint-Martin). La superposition des données (figure 6) donne à voir, par l’entremise d’un loisir, la ségrégation résidentielle qui structure l’extension urbaine.

Figure 4 - Implantation du football et part des ouvriers dans les communes de l'agglomération grenobloise

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Sources : données géocodées issues du recensement des licences auprès des fédérations sportives agréées par le ministère chargé des sports, 2021, INJEP, INSEE, RP 2021.

Figure 5 - Implantation du football et part des cadres dans les communes de l'agglomération grenobloise

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Sources : données géocodées issues du recensement des licences auprès des fédérations sportives agréées par le ministère chargé des sports, 2021, INJEP, INSEE, RP 2021.

Figure 6 - Part des ouvriers et des cadres dans les communes de l'agglomération de Grenoble

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Sources : données géocodées issues du recensement des licences auprès des fédérations sportives agréées par le ministère chargé des sports, 2021, INJEP, INSEE, RP 2021.

Pour citer ce document

Julien Bertrand, 2024 : « Le football à Grenoble : observatoire des divisions sociales d’une agglomération », in L. Lestrelin, Y. Le Lay, F. Madoré, S. Loret & S. Charrier Atlas des Sports [En ligne], eISSN : 2971-4133, mis à jour le : 03/12/2024, URL : https://atlas-des-sports.fr:443/index.php?id=657, DOI : https://doi.org/10.48649/asds.657.

Bibliographie

Beaud S., Rasera F., Sociologie du football, Paris, La Découverte, 2020. https//doi.org/10.3917/dec.beaud.2020.01

Bertrand J., Mennesson C., « S’engager dans une activité sportive ou physique : des pratiques socialement situées dès l’enfance », Sciences sociales et sport, n° 21, 2023, p. 35‑70. https//doi.org/10.3917/rsss.021.0035

Coulangeon P., « Les loisirs des populations issues de l’immigration, miroir de l’intégration », Revue française des affaires sociales, n°2, 2007, p. 83‑111. https//doi.org/10.3917/rfas.072.0083

Floch J.-M., « Niveaux de vie et ségrégation dans douze métropoles françaises », Economie et Statistique, n° 497‑498, 2017, p. 73‑97. https://doi.org/10.24187/ecostat.2017.497d.1931

Index géographique

  • Grenoble

Julien Bertrand

Maître de conférences HDR en sociologie, Université Grenoble Alpes, UMR 5194 PACTE, Laboratoire de sciences sociales

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Résumé

Grenoble est, à l’image d’autres métropoles, traversée depuis les années 1970 par des dynamiques d’embourgeoisement relatif et d’étalement urbain. Parce qu’il est à la fois le premier sport en nombre de licenciés et une pratique à dominante masculine, juvénile et populaire, le football est un bon observatoire de la morphologie sociale de la ville. Son implantation est révélatrice de ses divisions sociales et de leurs prolongements dans l’agglomération.

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