De la réinvention touristique et culturelle des hauts-lieux de la production des sports équestres : le cas des Haras nationaux en France
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Les Haras nationaux ont contribué à l’organisation du territoire français pendant plus de quatre siècles. Créés comme instruments de production du cheval de guerre et de travail, ils sont redéfinis comme outil de développement du cheval de sport et de loisir au XXe siècle. Toutefois, le désengagement de l’État quant à la reproduction équine au tournant du XXIe siècle interroge le devenir des sites historiques, qui doivent se réinventer comme haut-lieux du patrimoine culturel et sportif du cheval.
De la production du cheval de guerre au cheval de sport
1Les Haras royaux furent fondés par Colbert (1665), pour favoriser une amélioration des races chevalines et assurer la remonte de l’armée. Leur stratégie de développement repose sur une volonté de diffusion spatiale destinée à répartir la production équine en France, mais aussi à assoir le contrôle de l’État sur les territoires. Après la création du Haras du Pin en 1715, 22 autres sites voient le jour, entre le XVIIIe siècle et la fin du XXe siècle (figure 1). Les Haras connaissent des évolutions en traversant les régimes : disparition en 1790 ; recréation en 1795 ; restructuration en 1806 sous le nom de Haras impériaux ; réorganisations successives sous la Restauration, le Second Empire, et enfin la IIIe République qui les rebaptise Haras nationaux en 1874.
2Le rayonnement des Haras est fragilisé au XXe siècle par les progrès des techniques qui rendent obsolètes les utilisations pluriséculaires du cheval. Ce dernier doit sa perpétuation à son glissement dans les sphères des sports et loisirs. Ce transfert est orchestré grâce à la mise en place d’organismes nationaux, privilégiant les courses (création du Jockey Club français en 1834) puis les sports (Société Hippique Française en 1865 ; Fédération Française des Sports Equestres en 1921). Les Haras nationaux absorbent ces évolutions en réorientant leur production vers le sport et les loisirs. Néanmoins, au soir du XXe siècle, ils voient leur légitimité remise en question par l’État dans un contexte marqué par la perte de fonction utilitaire du cheval et de politiques de libre concurrence. Cette situation finit par avoir raison des Haras nationaux, qui deviennent Établissement Public Administratif en 1999.
Figure 1 : La réinvention touristique, sportive et culturelle des haras
La réinvention touristique, sportive et culturelle des haras
3L’État impose en 2010 un regroupement des Haras nationaux et de l’École nationale d’équitation, pour fonder l’Institut Français du Cheval et de l’Équitation (IFCE), placé sous la tutelle des ministères chargés de l’agriculture et des sports. Parallèlement est créé le groupement d’intérêt public France Haras, destiné à organiser le transfert des activités de reproduction équine vers des structures privées. La réforme ayant été menée à son terme, avec la disparition de la reproduction nationale, le GIP a été dissout en 2016.
4Désormais privé de ses fonctions d’élevage, l’IFCE doit inventer un nouveau modèle de fonctionnement afin d’accompagner la filière tout en préservant les missions essentielles héritées des Haras (traçabilité, formation) et du Cadre noir (patrimoine, formation, sport). En 2018, il obtient la qualification d’Institut Technique Agricole du ministère de l’Agriculture.
5L’évolution de l’IFCE interroge néanmoins le devenir des anciens haras. En 2022, 14 sites portent le nom de « Haras nationaux », devenu une marque. Plusieurs configurations ont émergé en fonction de leurs nouveaux propriétaires et de leurs activités. La vente ou la reprise des haras ont privilégié des projets de développement local économique en lien avec le cheval. Cette stratégie a permis à 18 haras d’entrer dans des logiques de valorisation territoriale sous des structures variées : EPA (1), syndicats mixtes (3), propriétés des régions (1) et surtout départements (6) et villes (6), voire agglomérations (1) (figure 1). L’EPA du Haras du Pin a été dissout en juin 2022. Le Haras est actuellement géré par le département de l'Orne, dans l'attente de la création d'une nouvelle structure qui devrait privilégier une gestion mixte tel qu'un GIP. Les discussions sont en cours. Ces projets se caractérisent par une volonté de pluriactivités, pouvant générer la création de pôle hippique (sport, élevage). Ils intègrent presque systématiquement (17), le tourisme culturel comme levier de développement.
6La valorisation de leur patrimoine bâti passant par une classification n’est pas systématique. En 2022, 13 bénéficient d’une protection : 11 au travers d’une inscription et 2 d’un classement au titre des Monuments historiques.
7Le panorama de la situation des haras est donc bigarré, en raison d’une pluralité de facteurs, laissant émerger une typologie, entre sites appartenant à l’IFCE (2), propriété territoriale exclusive (14) ou partagée (4) et enfin propriété privée (3). Toutefois, ils ont en commun d’être tous entrés dans une logique de recodification, qui n’induit pas nécessairement de rupture culturelle. Les Haras deviennent des sémiophores, combinant changement d'usages et conservation de valeurs associées, tout en s'inscrivant dans un dynamisme présent, favorisé par la pluriactivité. Cette dernière est le plus souvent liée à la présence, constante ou temporaire, de chevaux (18 sites). Or, le tourisme est un levier de cette reconceptualisation patrimoniale, au travers de processus de co-constitution (figure 2). Associé à d’autres activités, telles que le sport, l’élevage et la formation, il permet leur réinvention.
Figure 2 : Le tourisme, vecteur de réinvention des Haras. Visite en calèche du Haras de Saint-Lô
Cliché : S. Pickel-Chevalier, 2014.
Pour citer ce document
Sylvine Pickel-Chevalier, 2023 : « De la réinvention touristique et culturelle des hauts-lieux de la production des sports équestres : le cas des Haras nationaux en France », in L. Lestrelin, Y. Le Lay, F. Madoré, S. Loret & S. Charrier Atlas des Sports [En ligne], eISSN : 2971-4133, mis à jour le : 16/06/2023, URL : https://atlas-des-sports.science:443/index.php?id=529, DOI : https://doi.org/10.48649/asds.529.
Bibliographie
Bruneau D, « Les villes des haras nationaux », Espaces et sociétés, n° 168-169, 2017/1, p. 89-108.
Digard J.-P, Une histoire du cheval, Paris, Actes Sud, 2007.
Pickel-Chevalier S, « Mise en tourisme des Haras nationaux. De la perpétuation à la réinvention ? » Économie Rurale, Société française d’économie rurale, n° 374, 2020/4, pp. 35-51 http://journals.openedition.org/economierurale/8247
Pickel-Chevalier S, “Tourism and Equine Heritage in France: the case study of the Cadre noir de Saumur and the Vendée Stud”, Current Issues in Tourism, 2019, https://doi.org/10.1080/13683500.2019.1706459
Roche D., La culture équestre de l’Occident, XVI-XIXe siècle. Tome 1. Le cheval moteur, Paris, Fayard, 2008.
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Résumé
Les Haras nationaux ont contribué à l’organisation du territoire français pendant plus de quatre siècles. Créés comme instruments de production du cheval de guerre et de travail, ils sont redéfinis comme outil de développement du cheval de sport et de loisir au XXe siècle. Toutefois, le désengagement de l’État quant à la reproduction équine au tournant du XXIe siècle interroge le devenir des sites historiques, qui doivent se réinventer comme haut-lieux du patrimoine culturel et sportif du cheval.
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